Création d’un alambic pour la distillation de plantes aromatiques

Alambic Distillation Huiles essentielles

Cet article est un hommage à un homme passionné, un artisan, un artiste qui a cru en notre projet. Meilleur ouvrier de France, maître compagnon avec beaucoup d’humilité Jean Boisserie est un personnage. Il réalise des objets traditionnels en cuivre ainsi que des créations d’orfèvrerie. Ses pièces sont souvent certifiées et signées, comme c’est le cas de nos alambics.

Pourquoi à 83 ans révolus, s’est-il lancé absolument seul dans la construction d’un alambic double qui certes, si il demande des connaissances techniques, fait appel à une condition physique qui est plutôt celle d’un quadra que celle d’un octogénaire ? À cette question il n’y a pas qu’une seule réponse et nous laissons donc Jean Boiserie expliquer par ses propres mots toutes ses raisons.

Article de Jean Boisserie paru dans Le Journal des Compagnons :

« Cet appareil, l’alambic double, est un prototype que j’ai entièrement conçu pour répondre aux souhaits de mon client « Les Sens de Théus » . Producteurs récoltants  de plantes aromatiques et médicinales, ils les distillent et transforment les huiles essentielles obtenues en produits divers comme parfums ou compléments alimentaires médicinaux. Ils utilisent divers modes d’extraction, macération à l’alcool, macération d’huile végétale, et la distillation. La plus part de ces huiles essentielles sont vendues tels quels pour l’utilisation en aromathérapie, d’autres sont utilisées dans leurs huiles de massage. Ils valorisent également leurs hydrolats aromatiques dans leurs compléments alimentaires. Elles entrent également dans la composition de cosmétiques et de certains de leurs produits. La lavande est le produit distillé le plus couramment, mais cette saison le nouvel appareil a distillé 17 plantes différentes : des sommités fleuries, semences, rameaux à baies, aiguilles de résineux avec les cônes et récemment des copeaux de bois de cèdre.

L’appareil est un alambic double chauffé à la vapeur, composé d’un vase de 1000 litres et d’un vase de 420 litres en cuivre rouge, les chapiteaux qui les recouvrent sont rendu étanches par un double joint hydraulique. Ils sont raccordés par des tubulures à deux serpentins disposés à l’intérieur d’une seule cuve de réfrigération en acier inoxydable.

Le principe de fonctionnement d’un alambic est extrêmement simple :

Au fond du vase de distillation est disposée une grille en acier inoxydable sous laquelle arrive de la vapeur produite par un générateur. Au dessus de la grille on charge les plantes préalablement séchées après récolte. Une fois le vase refermé et raccordé au serpentin, l’ouverture d’une vanne provoque l’arrivée de la vapeur laquelle va en traversant les plantes les élever en température, ce qui a pour effet d’entraîner l’huile essentielle quelles contiennent. Le produit alors gazeux va monter dans la tubulure qui relie le vase au serpentin. Le serpentin est immergé dans la cuve de réfrigération contenant de l’eau froide, le refroidissement du produit gazeux va le condenser, donc le transformer en liquide, lequel sera récupéré à la base du serpentin.

Ce mélange composé d’eau et d’huile essentielle coulera dans un récipient spécial appelé essencier. Cet essencier a pour fonction de séparer l’huile essentielle de l’eau. Ce qui est finalement très simple, car l’huile essentielle de lavande plus légère que l’eau va tout naturellement surnager. L’huile récupérée, il restera dans la partie base de l’essencier de l’eau appelée eau florale (hydrolat), elle sera récupérée et utilisée pour parfumer des produits divers. Elle reste encore parfumée après sa séparation de l’huile essentielle.  

L’alambic dont la partie la plus haute atteint environ quatre mètre de hauteur, sera disposé dans un local avec un plancher à la hauteur de la partie supérieure des vases de distillation, pour un chargement plus facile des plantes. Les vases étant basculants, après distillation les plantes résiduelles seront évacuées au niveau inférieur. Elles peuvent être recyclées dans un composte ou éventuellement mises à sécher, afin de pouvoir récupérer de l’énergie en les brûlant dans le générateur de vapeur.

Pourquoi à 83 ans révolus je me suis lancé absolument seul dans la construction de ce prototype qui certes, si il demande des connaissances techniques, fait appel à une condition physique qui est plutôt celle d’un quadra que celle d’un octogénaire ?

À cette question il n’y a pas qu’une seule réponse. La première est parce que pour être un peu fou, j’ai toujours aimé les challenges. Quand j’ai eu la volonté de réaliser quelque chose j’y suis toujours arrivé, même si je n’en avais théoriquement plus la force, j’ai compensé mon manque de force physique par la réflexion et l’astuce. Cela me fait dire que la faiblesse rend plus intelligent ! Ce qui m’a également donné envie de me lancer dans cette aventure, est l’enthousiasme de mon client Jean-Pascal Laurin. Il semblait bien connaître son métier et savait exactement le résultat qu’il souhaitait obtenir. Cet alambic et son installation avaient germé dans sa tête, prenant exemple sur l’appareil ou il avait l’habitude de faire distiller ses produits, il souhaitait avoir encore mieux et plus pratique.

Tout s’est passé au téléphone sans jamais nous rencontrer, il faut dire que j’ai été séduit par son projet et que la confiance mutuelle s’étant de tout suite installée entre nous, il n’y avait  aucune raison de ne pas l’emmener à terme. A chaque contact je prenais des notes qui me permirent de tenir compte de ses désirs et de créer un appareil qui devrait être performant sans atteindre un coût trop élevé. Ce dernier point a été atteint en tenant compte du format des tôles de cuivre et d’acier inoxydable, afin qu’il y ait le moins de chutes possible et en utilisant les méthodes d’assemblage les plus judicieuses.

Pour le cuivre ce serait le rivetage et la soudure autogène, pour l’inox la soudure à l’arc. Cette construction a été réalisée dans le plus pur respect de la technologie du métier, le cuivre a été entièrement écroui par martelage ce qui lui confère une dureté qui assurera la longévité de l’appareil. Pour aller jusqu’au bout de mon désir de réaliser ce travail absolument seul, il n’y a que la boulonnerie et les vannes qui ont été achetées dans le commerce. Les raccords rapides trois pièces qui permettent le démontage des cols de cygnes (tubulures raccordant vase et serpentin) ont été réalisés en bronze, ce qui leur confère une plus grande longévité que les raccords laiton du commerce.

Les supports de basculement des deux vases ont été réalisés en mécano-soudure pour soigner l’esthétique et gagner du poids. J’ai tourné moi-même toutes les pièces mécaniques et même réalisé les paliers, car je n’ai trouvé dans le commerce que des paliers à billes inadaptés au fonctionnement dans un milieu humide. Le vase de 1000 litres est commandé par un volant entraînant sans efforts des pignons à chaîne double pour assurer la démultiplication, quand au vase de 420 litres beaucoup plus léger, un simple levier permet d’assurer le basculement en toute sécurité. Du plaisir, rien que du plaisir que de concevoir et réaliser sois même chaque élément !

En soixante quatre ans d’expérience professionnelle, j’ai fait le tour de mon métier, mais je découvre toujours quelque chose de nouveau dans la technique et la méthodologie. De la chaudronnerie initialement apprise à l’école industrielle, je suis passé à la chaudronnerie en cuivre, à la dinanderie d’art et à l’orfèvrerie. La qualité de finition d’un travail est la cerise sur le gâteau qui engendre plaisir et satisfaction quand l’œuvre est terminée. Je pratique ces différentes disciplines apprises toujours avec le même plaisir. Dans chacune d’elle, il y a la création, la mise en forme et la finition; il n’y a pas que dans l’art que la prouesse technique intervient. Je me souviens d’un moment passé à Toulouse Blagnac sous les ailes du Concorde exposé, où je me suis délecté en observant sous la structure de magnifiques pièces formées et rivetées à la main. De la base du métier vieille de plus de deux millénaires au supersonique fleuron de l’aéronautique, je constatais qu’il n’y avait qu’un pas !

J’ai toujours beaucoup de plaisir quand l’œuvre que j’ai conçue et qui parfois a occupé mon cerveau pendant plusieurs mois pour être réalisée, est là enfin devant mes yeux, c’est un soulagement comme l’ultime récompense de mes efforts. Puis il y a aussi le moment toujours excitant où le client découvre mon travail, sa réaction, son regard sont la récompense de tout l’amour et le savoir que j’ai pu mettre dans son l’accomplissement. Cet objet ou cette machine qui va devenir pour lui un compagnon et un outil précieux de tous les jours; ce qui a été important pour moi, va devenir important pour lui.

Ma grande satisfaction dans cette réalisation est d’avoir fait la connaissance d’un paysan artisan qui avec sa compagne ont réalisé un rêve qui leur permet de mener une vie saine en osmose avec la nature à 1400 mètres d’altitude dans les hautes Alpes. Cette montagne, qui pour le profane s’étale comme un immense décor, semble sans ressources, sans possibilité de vie, alors que le génie de l’homme, Jean-Pascal et Pauline grâce à leurs connaissances, y puisent leurs ressources dans la cueillette et la transformation de plantes aromatiques et médicinales qui auraient pu paraître sans intérêt pour le commun des mortels.

Livraison de l’appareil prise le 20 juillet, il devait fonctionner quelques jours plus tard. L’installation préparée à l’avance grâce à un échange de données, qui rigoureusement respectées ont permis une mise en service rapide. La première distillation terminée, je recevais un coup de fil de Jean-Pascal me faisant part de l’excellent rendement de la machine, ce n’était pas une surprise pour moi, mais j’étais heureux pour lui.

Si un jour vous passez au bord de la Durance pas loin du barrage de Serre-Ponçon, faites un détour par Théus et découvrez accrochée à sa montagne, une petite entreprise agricole et artisanale innovante tournée délibérément vers l’avenir.

Certains vont sans doute penser en lisant ces lignes que j’ai encore parlé de moi, c’est vrai, sans doute un besoin d’écrire. J’ai irrémédiablement atteint l’âge du bilan, c’est pour ne pas perdre le contact avec ce compagnonnage que j’aime tant et que j’ai tenté de servir de mon mieux depuis près de cinquante ans. Quand prenez-vous votre retraite me dit-on ? Certainement quand mes forces physiques me feront défaut et que ma tête me laissera en panne. Dans cette attente, j’ai l’immense avantage en étant dans la vie active de pouvoir encore parler au présent. C’est plus gratifiant pour moi, que d’en être réduit à ne pouvoir me contenter que de la seule évocation du passé !

                         « Corrézien l’Ami des Arts »  C:. Dinandier D:. D:. U:3 »

Un commentaire sur “Création d’un alambic pour la distillation de plantes aromatiques

  1. Bosse says:

    C’est TOP ! je suis vraiment heureuse pour vous que cette belle installation ait pu se faire
    et quel artisan passionné pour arriver à cette pièce unique! Bravo j’ai hâte de revenir vous voir
    pour découvrir cet alambic. Affectueusement. Claire

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